LES SEPT SENS : Epilogue

Publié le par Lucrezia

Je constate avec tristesse que parmi ces 7 sens, seuls 4 sont à ma disposition pour tenter de connaître Julien.  Et ironie du sort, l’intelligence, la parole, la vue et l’ouïe ressortissent avant tout du domaine cérébral.  Le décodage intellectuel est le passage obligé pour permettre aux sensations d’acquérir un sens.  Musiques, images et mots s’adressent à l’esprit davantage qu’à la chair.  Les 3 sens restants, éternellement manquants, sont malheureusement les plus sensuels, ceux qui délivrent une émotion brute.  En prise direct sur le réel et le domaine instinctuel, instantanés et primitifs, ils révèlent les secrets à la limite du perceptible.  Le toucher, le goût et l’odorat ne me sont d’aucun secours en l’absence de Julien.  Son image reste désespérément plate et froide, inodore et insipide.  Seule sa rayonnante présence conférerait à ces sens inutiles leur raison d’exister.

 

Maintenant, imaginons un instant, une méchante fée survient et m’avertit d’une terrible décision.  Elle n’est pas là pour me conférer un don supplémentaire, bien au contraire.  Sa mission est de me priver de l’un de mes 7 sens et mon unique liberté réside dans la possibilité de choisir.  Cinq minutes pour me décider, c’est tout ce dont je dispose.  Quel sens vais-je accepter de perdre au quotidien ?

 

La vue ?  Certainement pas !  Je pense que ma plus grande hantise est de perdre un jour l’usage de mes yeux.  Etre fermée à toutes les beautés de l’art et de la nature ?  Impensable.  Et ne plus voir Julien que dans l’antre obscur de ma mémoire ….  Non, impitoyable fée, pitié, pas la vue.

L’ouïe ?  Non plus.  Comment me passer de musique et du son harmonieux de la voix de Julien ?

La parole ?  J’en ai besoin pour matérialiser tout ce qui déborde de moi.

L’intelligence ?  Je me refuse à être réduite à l’état d’un végétal.  Pardon, j’outrage les plantes.  Qui peut prouver qu’elles ne pensent pas, elles aussi ?  Tout être vivant a besoin d’un minimum de réflexion pour structurer son existence.

L’odorat ?  Renoncer au parfum des fleurs ?  Jamais.

Le goût ?  Une vie insipide comme une eau immobile ?  Non merci.

Le toucher ?  Soit, je n’ai plus d’autre alternative.  J’accepte, méchante fée, de perdre le sens du toucher.  A quoi peut-il bien me servir si jamais mes mains ne peuvent se poser sur Julien ?  Je sais pourtant que ce renoncement me coûtera beaucoup, je vais aussi perdre toute mainmise sur ma vie, tout va m’échapper des mains, je n’aurai plus aucune sensation des objets et tout ce qui me glissera des doigts sera le symbole de son absence et de mes rêves détruits.

 

Second cas de figure : la méchante fée revient me tourmenter, mais cette fois, elle a une double nouvelle à m’annoncer.  Tout d’abord, elle se propose de réaliser l’un de mes vœux, mais ensuite je devrais accepter de perdre un de mes sens, au choix.  En ce qui concerne le souhait, je n’ai nul besoin de délai de réflexion : rencontrer Julien est la chose que je désire par-dessus tout.  Mais je vais l’approcher amputée d’une partie de moi-même.  Laquelle choisir ?  Après mûre réflexion, j’opte pour la parole.  Je serai donc muette.  De toute façon, j’ai de fortes chances de tomber muette face à lui.  Mais il me reste tant de moyens de communiquer.  Je peux compenser mon silence par l’écriture, les regards, l’attitude, les mains.  Parfois les yeux sont plus diserts que les mots.

 

A présent, oublions la mauvaise fée et revenons à la réalité.  Julien, lui aussi, possède 7 sens qu’il utilise avec tout le talent qui transparaît sur scène.  On sent chez lui une finesse de perception qui se manifeste dans la subtilité de son jeu.  Hélas, aucun de ses sens ne lui permet d’avoir la plus minime connaissance de mon existence : il ne peut me voir, m’entendre, me toucher, me sentir, me goûter, me parler, me concevoir ou me comprendre.  Je suis le néant.

 

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